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Justice
pour le "prophète"
"Un
jour, l’histoire aura
son mot à dire, mais
ce ne sera pas l’histoire
qu’on enseigne à l’ONU,
à Washington, Paris
ou Bruxelles, mais l’histoire
qu’on enseignera dans
les pays libérés du
colonialisme et de ses
marionnettes. L’Afrique
écrira sa propre histoire.
Une histoire faite de
gloire et de dignité".
Patrice
Lumumba

En
février 2002, la Belgique
a reconnu sa responsabilité
"morale" dans la mort
de Lumumba
Une
nuit de janvier 1961,
deux officiers belges
se livrent à ce qu’il
est convenu d’appeler
une "sale besogne". Ils
achèvent de découper un
corps en morceaux qu’ils
jettent dans un fut d’acide
afin de le dissoudre.
Le crâne n’étant pas dissous
sera réduit en poudre
et dispersé. Un des officiers,
le belge Gerard Soete,
déclarera avoir conservé
un doigt et une dent en
or provenant de la victime.
Le corps est celui de
Patrice Emery Lumumba,
premier ministre élu depuis
6 mois du Congo nouvellement
"indépendant". Sa mort
signe la descente aux
enfers d’un pays, le Zaire,
dont l’étendue et les
richesses minières et
minérales en font un "scandale
géologique".
Retour
sur la vie et mort du
"prophète", Patrice Lumumba.
Patrice
Lumumba naît le 2 juillet
1925 à Katako Kombé
dans le nord du Kasai.
Il va à l’école missionnaire
catholique, puis fréquente
une école protestante
tenu par des religieux
suédois. Ses études
terminées, il cherche
du travail dans la province
du kivu et est pendant
un temps employé d’un
société minière, jusqu’à
ses 20 ans, en 1945,
à la fin de la seconde
guerre mondiale. Il
est déjà un de ceux
qu’on appelle les "évolués",
une minorité d’individus
ayant bénéficié d’une
éducation "moderne"
et intellectuellement
privilégiés. Lumumba
travaille ensuite pour
l’administration des
postes à Leopoldville,
puis Stanleyville. En
septembre 1954, il reçoit
sa carte "d’immatriculé"
: le détenteur de cette
carte qui est une invention
de l’administration
coloniale est supposé
vivre à "l’européenne",
avoir de bonnes mœurs
et de bonnes conduites.
217 cartes seront distribuées
jusqu’en 1958 (sur 13
millions de congolais
!). En 1955, Lumumba
qui écrit depuis 1951
dans divers journaux
existants crée une association
L’APIC (association
du personnel indigène
de la colonie) , profitant
du relatif espace de
liberté laissé par l’administration
coloniale dans le domaine
associatif, qui est
apolitique........................Retour
En
juin 1955, Lumumba a l’occasion
de s’entretenir avec le
roi Baudouin en voyage
au Congo sur la situation
des congolais et de la
communauté belge. A cette
période le ministre du
Congo est le libéral Buisseret,
membre du parti libéral
belge qui veut créer un
enseignement public, ce
qui plaît à Lumumba et
à d’autres "évolués" qui
se retrouvent dans la
section congolaise du
parti libéral belge. Lumumba
et quelques "notables"
congolais se rendent en
Belgique sur invitation
du premier ministre. A
son retour Lumumba effectue
quelques mois en prison
pour une affaire de détournement
de fonds. Il est libéré
plus tôt que prévu
courant 1957, et reprend
ses activités associatives
de même que son nouvel
emploi de directeur des
ventes dans une brasserie
belge.
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Au
courant de cette
année, le gouvernement
belge prend quelques
mesures de libéralisation.
Pour la première
fois, syndicats
et partis politiques
vont être autorisés.
En 1958 se tient
en Belgique l’exposition
universelle. Quelques
congolais sont conviés
afin que le monde
voit les réussites
de la mission civilisatrice
belge. Parmi eux,
Patrice Lumumba
qui en profite pour
nouer des contacts
avec les cercles
anti-colonialistes
belges et se documenter.
C’est sans doute
à cette période
que la pensée politique
de Lumumba prend
sa forme définitive.
Rentré au pays,
Lumumba crée le
premier mouvement
national à base
non ethnique, le
Mouvement National
Congolais (MNC)
à Léopoldville le
5 octobre 1958.
En décembre de la
même année, Lumumba
participe à la conférence
panafricaine d’Accra
au Ghana, impulsée
par le dirigeant
ghanéen Kwame Nkrumah.
Fin décembre lors
d’un meeting, Lumumba
qui jouit d’une
grande popularité
effectue une conférence
meeting qui rassemble
10 000 personnes.
Il y rend compte
de la conférence
d’Accra et met en
évidence la revendication
de l’indépendance
pleine et entière.
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En
octobre 1959, le MNC organise
une réunion unitaire à
Stanleyville avec d’autres
partis qui sont d’accord
pour réclamer l’indépendance
immédiate et inconditionnelle.
La foule congolaise qui
assiste à la réunion manifeste
son approbation. Les forces
de l’ordre interviennent,
essayant d’arrêter Lumumba.
Ne pouvant y arriver,
elles tirent dans le tas,
faisant 30 morts. Deux
jours plus tard, Lumumba
est arrêté pour avoir
appelé à la désobéissance
civile et au boycott des
élections organisées par
le pouvoir colonial tant
qu’une décision n’est
pas prise pour la formation
d’un gouvernement congolais.
Le
procès se déroule du
18 au 21 janvier, et
il est condamné à 6
mois de prison. Début
1960, le 11 janvier,
une table ronde réunissant
les différents acteurs
congolais impliqués
dans l’indépendance
et le gouvernement belge
est prévue pour...le
20. Lumumba qui est
toujours emprisonné
ne peut donc y participer.
Malgré les oppositions
internes, les différentes
parties congolaises
en présence exigent
la participation de
Lumumba à la conférence.
Ce dernier arrive à
Bruxelles le 26. A la
table ronde, la date
de l’indépendance est
fixée au 30 juin et
les congolais sont les
premiers surpris de
ce succès qu’ils n’attendaient
pas.

En
mai, des élections sont
organisées et le MNC de
Lumumba arrive en tête.
Lumumba, malgré une première
volte face du gouvernement
belge est chargé de former
le gouvernement congolais
et Joseph Kasavubu obtient
la présidence (dont les
pouvoirs sont surtout
symboliques). Fin juin,
plus précisément le 30,
le roi et le premier ministre
belges sont présents lors
de la cérémonie de proclamation
de l’indépendance au palais
de la nation à Leopoldville.
Après les discours des
uns et des autres, c'est
alors que l'inattendu
arrive. Se déclarant prêt
à accepter l’assistance
de nombreux pays étrangers
dont la collaboration
sera loyale et qui ne
chercheront pas à imposer
quelque politique que
ce soit, Lumumba brise
le consensus de ce qu'on
appellerait aujourd'hui
le "politiquement correct".
S'adressant
non au roi Baudouin,
devenu blême, mais aux
"Congolais et Congolaises,
combattants de l'indépendance
aujourd'hui victorieux",
il rappelle ce que fut
"l'humiliant esclavage"
imposé par ce Léopold
II dont Baudouin vient
de glorifier le génie:
"Nous avons connu les
ironies, les insultes,
les coups que nous devions
subir matin, midi et
soir, parce que nous
étions des nègres. Nous
avons connu que la loi
n'était jamais la même
selon qu'il s'agissait
d'un Blanc ou d'un Noir:
accommodante pour les
uns, cruelle et inhumaine
pour les autres". (...)
Patrice
Lumumba est salué finalement
par une véritable ovation.
Pour les notabilités
belges, depuis le roi
Baudouin, livide jusqu
'au Premier ministre
Gaston Eyskens, en passant
par le général Janssens,
commandant en chef de
la Force publique, l'affront
est peut-être de ceux
qu'on ne pardonne pas.
Le
5 juillet, après une mutinerie
des soldats congolais
de la Force publique contre
les officiers belges qui
refusent l’africanisation
des cadres, Lumumba décide
d’africaniser les cadres
de l’armée, ce qui rend
impossible le contrôle
du gouvernement congolais
par l’ex puissance coloniale.
La Belgique envoie des
troupes au Katanga où
se trouve Moise Tschombé
qui peut être considéré
comme son homme de paille,
ce dernier déclare la
sécession du Katanga,
la province la plus riche
du Congo (elle génère
2/3 des revenus du pays,
et l’Union Minière du
Haut Katanga, contrôlée
par des entreprises américaines,
britanniques et belges
produit 60 % de l’uranium
mondial, 73% du cobalt,
10% du cuivre...). Lumumba
demande l’intervention
de l’ONU qui envoie des
troupes partout sauf au
Katanga, et refuse de
s’opposer à "l’indépendance"
du Katanga dont elle n’ignore
pas l’illégalité.
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En
septembre, Joseph
Kasavubu qui est
devenu un adversaire
de Lumumba le démet
de ses fonctions
de premier ministre,
mais celui ci est
confirmé dans ses
fonctions par la
chambre et le sénat
congolais. Mi septembre
le colonel Mobutu
qui effectue là
son premier coup
d’Etat "neutralise"
le gouvernement,(
qui est remplacé
par des "commissaires")
jusqu’au 31 décembre.
En octobre, la résidence
de Lumumba est encerclée
et il est maintenu
en résidence surveillée.
Fin novembre, Lumumba
essaye de s’enfuir
afin de gagner Stanleyville
alors aux mains
de ses partisans.
Il ne réussit pas
et est rattrapé
par les soldats
de Mobutu, frappé
et molesté en présence
de troupes ghanéennes
de l’ONU, qui restent
impassibles sur
ordre de leurs supérieurs.
Lumumba est détenu
à Tsyville en compagnie
de joseph Mpolo
et de Maurice Okito.
Mi janvier, ils
sont transférés
à Elisabethville,
aux mains de leur
ennemi numéro un
Moise Tschombé.
Les trois hommes
sont abattus d’une
rafale de mitraillette
par des militaires
katangais en présence
de trois officiers
de nationalité belge
après avoir été
torturés...........................
Retour |
Presque
40 ans après les faits,
le témoignage du militaire
belge Gerard Soete expliquant
comment le corps de
Lumumba fut découpé
et dissous par lui et
quelques autres personnes
qui l’assistaient dans
sa tâche macabre, puis
le livre (paru en 2000)
du sociologue belge
Ludo de Witte sur l’assassinat
de Lumumba soulevèrent
tant de réactions que
le parlement belge décida
d’ouvrir une enquête
destinée à évaluer la
responsabilité de la
Belgique dans la mort
de Lumumba.
Ce
rapport aboutira à une
déclaration du gouvernement
belge le 5 février 2002
:
"A
la lumière des critères
appliqués aujourd'hui,
certains membres du
Gouvernement d'alors
et certains acteurs
belges de l'époque portent
une part irréfutable
de responsabilité dans
les événements qui ont
conduit à la mort de
Patrice Lumumba. Le
Gouvernement estime
dès lors qu'il est indiqué
de présenter à la famille
de Patrice Lumumba et
au peuple congolais
ses profonds et sincères
regrets et ses excuses
pour la douleur qui
leur a été infligée
de par cette apathie
et cette froide neutralité."
Le
rapport mentionne les
obstacles dressés sur
la route de Lumumba par
la Belgique : encouragement
de la sécession kantagaise,
grandes sociétés minières
payant leurs impôts au
"gouvernement" secessioniste
au lieu du gouvernement
central de Lumumba, fonds
secrets de 6 millions
d’euros actuels votés
pour les actions de destabilisation
(livraison d’armes, tentatives
d’enlèvement, préparation
d’attentat...), propos
du ministre belge des
affaires étrangères de
l’époque "il faut mettre
Lumumba hors d’état de
nuire". Bien que les députés,
désireux d'obtenir un
consensus, ne se soient
pas avancés sur la responsabilité
politique des autorités
de l'époque, leur travail
est d'une grande honnêteté
intellectuelle et a abouti
à la reconnaissance officielle
de la responsabilité "morale"
belge dans l’assassinat
de Lumumba.
Côté
américain, le rôle de
la CIA était mentionné
depuis bien longtemps
et est confirmé par
un article du Washington
Post de juillet 2002
faisant référence à
des archives américaines
déclassifiées : "la
CIA travailla avec un
groupe de huit Congolais
au sommet de l'Etat
et à qui elle paya des
sommes importantes et
qui jouèrent tous de
grands rôles dans la
chute de Lumumba. Il
s'agit notamment du
Président Kasa-Vubu,
de Mobutu (alors chef
d'Etat-Major de l'armée)...etc
". En novembre 1960,
elle fourni moyens matériels
aux soldats de mobutu
(armes, munitions, matériel
de sabotage...).
Plus
de 40 ans après sa disparition,
les circonstances de la
mort de Patrice Lumumba
sont donc largement connues.
Si le courage de la Belgique
de s’attaquer à son passé
colonial peut être salué,
on peut se demander dans
quelle mesure cette action
marque de nouvelles relations
entre ex puissances coloniales
et ex colonisés. Ajoutons
à cela le Congo-Zaire
ne s’est jamais remis
de la mort de son leader,
le seul démocratiquement
élu. Que serait devenu
l’un des pays les plus
vastes et les plus riches
d’Afrique avec un homme
intègre à sa tête ?
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